Réalisons notre vrai désir.
« Et le désir s’accroît quand
l’effet se recule ». Pierre
Corneille
Le mécanisme infernal du désir mimétique est la grande
découverte littéraire et philosophique de René Girard, critique littéraire et
anthropologue. C’est sa critique du célèbre complexe d’Oedipe de Freud qui
l’amis sur la voie du désir mimétique. Pour Girard ce n’est pas le désir sexuel
pour la mère qui pousse le petit garçon à s’opposer au père, mais au contraire,
c’est son désir d’imitation du désir paternel qui stimule son désir pour sa
maman. Le désir mimétique c’est l’imitation du désir de l’autre comme dans le
cas d’une relation triangulaire où un homme veut une femme uniquement parce que
son rival la possède ! C’est ce qui s’est passé entre Lucifer, Adam et Eve
dans le jardin d’Eden, l’Archange ayant d’autant plus désiré la femme qu’elle
était destiné à son rival l’homme…
C’est à travers sa lecture attentive et inspirée des grands romans de la
tradition romantique du 19ème siècle que Girard a confirmé sa
découverte révolutionnaire. Dans des romans comme Le Rouge et le Noir de Stendhal ou Madame Bovary de Flaubert c’est la logique infernale du désir
mimétique qui est à l’œuvre. Ainsi les deux héros romantiques Julien Sorel et Emma Bovary sont amenés
inexorablement à la mort à travers cette logique implacable du désir mimétique.
Girard décrit parfaitement cette logique diabolique qui fait le malheur du
personnage romantique dans son essai Mensonges
romantiques et vérités romanesques.
Julien Sorel est pour Stendhal une figure
de la vanité qui vit dans l’admiration de Napoléon et qui cherche à conquérir
les cœurs féminins pour satisfaire son désir de gloire. Son drame est de ne pas
suivre son désir naturel de jeune homme attiré par les jeunes filles de sa
condition, mais de viser la conquête de femmes mariées à des aristocrates. Dans
son cas, l’adultère devient un crime politique qui ne peut s’achever que sous
la guillotine du parti royaliste revenu au pouvoir ! L’erreur funeste de
Julien Sorel liée à sa vanité est d’avoir voulu imiter le désir des jeunes
nobles !
Emma Bovary est pour Flaubert une figure de la naïveté qui vit sa vie
sentimentale par procuration à travers de mauvais romans à l’eau de rose. Déçu
par son mariage de raison avec Charles Bovary, un médecin de campagne sans
envergure, elle va chercher à fuir son ennui en imitant les désirs de ses
héroïnes romanesques. C’est ainsi qu’Emma Bovary sera amené à commettre
l’adultère avec deux hommes peu scrupuleux qui abuseront de sa naïveté :
Léon et surtout Rodolphe. Ce dernier abusera aussi de sa générosité financière
d’où l’endettement fatal du couple Bovary et le suicide final d’Emma à
l’arsenic. L’erreur funeste d’Emma Bovary liée à sa naïveté est d’avoir voulu
imiter le désir des aristocrates libertines !
Pour Girard, il y a une évolution du désir mimétique entre Stendhal et
Flaubert, car Julien Sorel veut imiter un homme réel, Napoléon, tandis qu’Emma
Bovary veut imiter des héroïnes de fiction romanesque. Or, d’après Girard, le
désir mimétique peut faire plus de ravage quand son médiateur n’est pas réel
comme dans le cas de la littérature. Pour lui, c’est Dostoïevski qui a le mieux
cerné le mécanisme psychologique démoniaque du désir mimétique dans l’ensemble
de son œuvre romanesque. Cependant, c’est particulièrement dans le roman Notes dans un souterrain que Dostoïevski
aurait le mieux décrit la folie meurtrière à laquelle peut conduire le désir
mimétique. Pour Dostoïevski, le médiateur suprême du désir mimétique, celui qui
pousse les hommes à s’entre-déchirer par la jalousie, c’est le diable…
La thèse de Girard est d’autant plus pertinente qu’elle permet aussi de
rendre compte de phénomènes de masses comme les modes ou la course à la
surconsommation, en partie responsable de la crise actuelle. La publicité joue
en effet parfaitement ce rôle de médiateur du désir mimétique en nous poussant
à imiter les habitudes de consommations des superstars !
Or, l’individu qui est sans cesse
soumis à la pression de ce désir mimétique ne peut jamais être satisfait de
rien. C’est pourquoi, il est important d’identifier son véritable désir !