En texte directement, c'est mieux:
Texte 5 : Le crapaud
Tristan Corbière
Etude et Recherches
Poème extrait du recueil Les Amours jaunes publié en 1873.
Corbière est connu pour être quelqu’un de triste et laid.
Son rêve était de devenir marin mais il ne pouvait pas, du fait d’une santé fragile. Il est d’ailleurs mort très jeune : il a vécu de 1845 à 1875, presque 30 ans.
Il a également été malheureux en amour ; en témoigne le nom de son recueil, « amours », employé dans sa dimension littéraire (donc au féminin) + « jaune », une couleur qui fait penser au rire et aux bouffons. On parle donc de sentiments amoureux nobles mais risibles pour les autres.
Le recueil ayant fait un flop du vivant de Corbière, sa renommée est posthume.
Dans ce poème, Corbière emploie l’image du crapaud, laid et suscitant le dégoût. Le poème contient donc des éléments autobiographiques.
Le poème prend des libertés de forme : utilisation d’un sonnet inversé, séparation typographique de la chute.
Nous sommes en 1873, en pleine période symboliste.
1er tercet : Mise en place du décor
-> v.1 : « Un chant dans une nuit sans air » : scène nocturne, atmosphère désagréable, étouffante, oppressante. +champ lexical du soir : « la lune » (v.2) ; « sombre » (v.3)
/ambiguïté : « sans air » -> la nuit ou le chant ? On ne peut pas chanter sans air, sans souffle -> le chant n’est pas mélodieux (ou carrément boîteux)
« … » impression de suivre un observateur qui voit et entend la scène, il est intrigué -> sensation auditive.
« Un » -> indéfini : imprécision, le chant se détache du silence nocturne mais comme un simple murmure, on ne sait pas d’où il vient
-> v.2 : sensation visuelle.
/peu de détails : le poète symboliste ne montre pas, il suggère/
nouvelle ambiguïté syntaxique : « plaque » on ne sait pas s’il s’agit d’un nom (alors il s’agit de la métaphore de la lune en une plaque de métal, le tercet forme alors une accumulation de sensations par des phrases nominales) ou d’un verbe (il y aurait alors un jeu de lumière entre la lune et les feuillages ; les termes un peu tranchants suggèrent un éclairage paraît glacial et métallique).
L’opposition du clair et du sombre suggère également une lumière contrastée.
2ème tercet : la sensation auditive s’accentue : anaphore de « un chant ».
Les « … » laissent penser que ce tercet forme une suite au premier vers / comparaison à « un écho » (v.4)
-> au sens propre : le chant se répète ; en identifiant le poète au crapaud, le chant est le poème. Cette expression suggère le va-et-vient de l’inspiration poétique ó hésitation de la voix.
-> Au sens figuré, le poème se fait l’écho du monde, la poésie dévoile le monde d’une autre façon.
v.4-5 : « tout vif » -> « enterré là » allusion au supplice de l’inhumation des êtres vivants / ambiguïté : c’est peut-être un rejet mais il se poursuit sur la fin du vers.
« tout vif » -> le chant a une vivacité importante, mais il se retrouve enterré. Thème du poète maudit, non reconnu.
Le décor symbolise la mort à l’aide d’éléments inspirant l’angoisse.
/ on peut aussi penser que c’est un poète qui se cache « dans l’ombre » (v.6) (-> rime sémantique riche avec « sombre »)
+ écho : « enterré », « sans air » -> souffle poétique étouffé.
L’observateur s’approche, il tente d’identifier l’endroit où il trouve le chant : « vert sombre » ; « sous le massif ».
/Arrivée d’un autre personnage en compagnie du poète («Viens[…]»)
-> Le poète est peut-être avec une femme, pour une promenade (intimité dans le tutoiement) ; le poète s’approche pour découvrir l’auteur du chant.
-> Le poète parle au crapaud, il situe la bête « dans l’ombre », l’auteur se conjure sa peur ; « ça se tait » -> le crapaud se tait lorsque s’approche le poète. Le chant est craintif et hésitant.
1er quatrain : rencontre du crapaud.
La typographie aide à déceler les changements d’interlocuteurs («_ »)
Mais n’est pas toujours là. On ne sait pas qui parle.
« ! » -> surprise, le poète inspire comme l’animal le dégoût, il est rejeté.
-assonances en «oi » dans les 2 quatrains : écho au coassement du crapaud.
/Image de Gautier dans le pin des Landes sur la souffrance du poète :
On entaille le pin et de la sève en coule ; analogiquement pour le poète, on le blesse et il produit sa précieuse sève : la poésie./
Poète comparé à un « soldat fidèle » (v.
: le poète souffre mais se tient droit et est là pour les autres.
v.9 : changement d’interlocuteur ; nouvelle ambiguïté syntaxique : « le » => le crapaud (pronom personnel)
ou => article défini masculin
«poète tondu » -> méprisé, au sens figuré familier dépouillé.
On constate que le vers est irrégulier, il fait 9 syllabes au lieu de 8, sauf si on fait une espèce de synérèse hideuse « poè-te », le son devient disgracieux, donc la poésie, telle le chant boiteux du crapaud
Autodérision si l’on considère l’identification du crapaud au poète.
Le poète ne s’aime pas -> « horreur » (répété à la strophe suivante)
« Rossignol de la boue » -> périphrase sur le crapaud-> sur le poète
oxymore : rossignol => chant mélodieux, de qualité (réutilisation des clichés littéraires, on compare le poète à un oiseau) // crapaud englué dans la boue.
« sans ailes » -> le poète n’a pas d’aile, il est en panne d’inspiration,
il se retrouve alors dans la boue au lieu de s’élever tel le rossignol.
Le chant n’a pas de mélodie, c’est la laideur en musique.
2ème quatrain : répétition d’ «Horreur », avec 2 «!». -> progression, la douleur d’être méconnu et rejeté s’accentue.
« horreur pourquoi ? » (v.11) -> incompréhension face à la réaction écœurée des autres.
« vois-tu pas son œil de lumière : le poète rejeté a de la lumière à donner, il détient une beauté, il éclaire les choses.
/ un seul œil -> rappel du cyclope, un monstre.
Suggestion d’une chaleur.
//froideur de la réaction des gens, la lumière du poète demeure ignorée.
Isolement du crapaud/ du poète. Ils sont condamnés à chanter loin dans l’ombre de la lumière, dans le mépris. Alors le crapaud va sous sa pierre.
Euphémisme de la mort : « Il s’en va » -> Il meurt.
« sous sa pierre », une pierre tombale. (+ «froid»)
« sous » suggère l’obscurité.
Chute : Identification au crapaud explicitée, on constate une certaine ironie dans le « bonsoir », il plante le clou de l’autodérision.
Le poète incompris est condamné à chanter dans l’ombre, il est alors décidé à « s’en aller » aussi sous sa « pierre ».
I. La condition du poète
1) isolement, solitude
2) manque de reconnaissance
3) Le poète et son inspiration
4) Laideur
5) Image du crapaud
II. Révolution formelle
ambiguïtés syntaxiques, coupes nombreuses qui entraînent un rythme saccadé, typographie, inversion du sonnet, ponctuation, expressions détournées, utilisation dans le sonnet d’octosyllabes au lieu d’alexandrins ou de décasyllabes.
/ conservation des rimes embrassées aux quatrains, une rime commune aux tercets, majuscule en début de vers, notion de strophes, mètre régulier.
Ouverture possible sur le lombric, l’albatros (Baudelaire), le cygne (Mallarmé), le pélican (Musset), l’aigle (dans la mort de l’aigle ; Hérédia), le pin, sur les différentes façons de se peindre.
Conclusion (ouais, j’en ai enfin faite une !!!!!!) :
Corbière se libère des contraintes formelles de la poésie pour exprimer sa douleur sous une forme plus originale.
Il fait un autoportrait dévalorisant en se comparant à un crapaud. Le chant du crapaud, peu mélodieux, est alors assimilé au poème, bancal, même boiteux. Il se moque de lui-même en décapitant le lyrisme de son message pour faire un chant de crapaud.