Extrait de Voltaire : l’Ingénu, chapitre 1
Les contes philosophiques ont connu leur essor au XVIIIèmesiècle, notamment grâce à Voltaire qui en a écrit 26.
L’Ingénu est une œuvre de sa vieillesse (Voltaire l’a écrite à 73 ans). C’est un récit fictif dans lequel Voltaire se livre à une satire de la religion, de la cour, de la province, de l’éducation, mais introduit un héros, un Huron, qui lui permet de renouer avec le mythe du bon sauvage. Par l’intermédiaire de son personnage qu’il fait voyager, il jette un nouveau regard sur la société de son temps.
I. le portrait du Huron
-> par le narrateur, omniscient
-> par lui-même de façon directe, lorsqu’il prend la parole
-> indirectement par les personnages qui l’entourent
=> dans le dialogue entre lui et les autres.
L’auteur varie les approches du héros, portrait élogieux du sauvage, présenté sous son meilleur jour.
- physique : « un jeune homme très bien fait » (l.42) ; « Sa figure et son ajustement attirèrent les regards » (l.45) ; « taille fine et dégagée » (l.48) ; « un teint de lis et de rose (l.69).
/ On est étonné des critères du sauvage, plutôt élégant, il a une peau blanche (et non mate pour un Huron ordinaire). -> parodie de retrouvailles (il s’agissait du neveu du prêtre).
- moral : « simple », « naturel » (l.55) ; « curieux » (l.58) ; « il était venu, et allait s’en retourner » (l.59) -> Aime voyager, « des politesses » (l.64) -> poli ;a le sens du partage ; « il ne se fait pas prier deux fois » (l.65) -> sociable ; manifeste de la « fermeté » (l.84) -> indépendant, « j’aime assez les français quand ils ne font pas trop de questions. » (l.121 ; litote : il veut qu’on le laisse tranquille) ; refuse de se faire baptiser ; mais il n’a pas d’agressivité (l.83 : « douceur ») ; « air martial et doux » (l.49) ; naïf et innocent -> « Ingénu » ; sincérité (l.94 : « je dis toujours naïvement ce que je pense, comme je fais ce que je veux »). / pas encore bien intégré : « de quoi l’Ingénu ne s’aperçut pas ».
/exotisme : l.45-50 : « nu-tête et nu-jambes », « sandales », « long cheveux en tresse » ; tient dans la main une bouteille et un biscuit.
=> le conte devient un divertissement.
II. le comique ; registre et procédés
1. comique de situation
- arrivée du Huron dans un costume inattendu au milieu de gens différents.
- les deux demoiselles se livrent au voyeurisme en observant le Huron nu (l.210 ; et André dis pas « elles se doigtent »…)
- arrivée au dîner du Huron (l.80), procédé d’hypotypose, personnages grotesques.
2. comique de caractère
- bailli qui a un « ton imposant » et grave, même pas conscient de son ridicule, incarne l’autorité de la province, tellement curieux en posant des questions qu’il est qualifié d’ « impitoyable » (l.180)
- Abbé de Kerkabon : non respect du vœu de chasteté (l.15 : aimé “de ses voisines”), aime boire (-> cliché du clergé corrompu).
- comportement grégaire des personnages, comique de gestes avec tous les personnages qui font les mêmes mimiques au même moment.
- vieilles filles de Province : Madame de Kerkabon, frustrée de ne pas avoir connu l’amour, s’émoustille en voyant un homme qui l’intéresse (l.67 : « le regardait de tous ses petits yeux »), elle est aussi assez égocentrique (l.154 : « elle fut un peu piquée que la galanterie ne s’adressât pas à elle »).
3. comique de mots
- 1ère maîtresse de l’Ingénu : Mademoiselle Abacaba, qui lui a appris les abc de l’amour…
- mots en huron
4. comique burlesque
- Abacaba courrait après un lièvre (-> course rapide) ; pour une histoire de lièvre, l’Ingénu rapporte un rival chez les parents d’Abacaba, qui veulent alors « le manger » (-> cannibalisme)
- Elle a « été mangée par un ours » (l.172) ; il a porté sa peau (parodie d’Hercule portant la fourrure du lion de Némée)
- parodie des romans licencieux du XVIIIème : Abacaba qui a eu de nombreux autres amants choisit l’Ingénu pour une histoire de chasse au lièvre.
-Mademoiselle de Saint-Yves est contente de voir que Abacaba a été mangée pas un ours -> il n’y a plus de rivales. (l.175 : « plaisir secret d’apprendre que l’Ingénu n’avait eu qu’une maîtresse »)
//formule ironique ; Saint-Yves n’ose pas avouer qu’elle est joyeuse d’apprendre la mort de Mademoiselle Abacaba.
- histoire de la serrure
III. Idées abordées dans le texte
-Problème de l’Homme naturel à travers le Huron et de ceux qui se prétendent civilisés ; ouverture d’esprit / ethnocentrisme ; sentiments honnêtes / sensibleries des hôtes. Par exemple en apprenant que l’Ingénu est orphelin les gens sont attristés alors qu’il vit plutôt bien sa situation.
- religion : corruption du clergé, volonté affirmée de convertir à tout prix (l.194 : répétition de « Nous le baptiserons » avec un futur de certitude)
- Les bas-bretons se servent de la cérémonie pour faire la fête et briller socialement (l.197-199).
-préjugés : la Province cultive les préjugés
-> les gens sont surpris qu’un Huron ne soit pas catholique.
-> ils pensent que le français est la plus belle langue
-> sur les étrangers (l. 63 : Madame de Kerkabon est « étonnée et enchantée de voir un Huron qui lui avait fait des politesses » ; l.144 avec le bailli)
-> les anglais ne seraient pas aussi honnêtes que les autres peuples. / au XVIIIème siècle, l’Angleterre est un modèle pour les philosophes, elle a accepté les Huguenots qui ont été chassés par les français catholiques. Voltaire est également très attaché à l’Angleterre car il s’y est réfugié)
-ethnocentrisme : on croirait que chaque chose issue de sa civilisation est la meilleure du monde, on se permettrait alors de donner des leçons aux autres -> manque d’ouverture d’esprit des bas-bretons.
- Intérêt croissant à la grammaire et à l’origine des langues
-> on cherche à comparer les langues, développement de la science de l’étymologie.
-> développement du problème des nombreux dialectes dans une même langue.
Ceci est l’incipit d’un conte qui s’annonce divertissant (exotisme, riche registre comique) mais qui traite également de sujets sérieux. Ce conte apporte un regard neuf (celui du Huron) permettant d’échapper à la censure.
Mer 23 Mai - 11:47 par 
